La fabrique des images à la Galerie SBC

Galerie SBC, Hito Steyerl, November

Je dois dire que parmi toutes les expositions qu’il m’a été donné de voir au Belgo cette année (et il y en a eu beaucoup), celles de la Galerie SBC se sont toujours démarquées par leur alliage réussi du contenu et du contenant et pour ce qu’elles ont suscité comme réflexion par la suite. J’avais adoré les Tentations techniques de Maria Lassnig (qui avait fait l’objet d’un article ici) et Lignes de faille (qui avait aussi fait l’objet d’un article ici), et je ne veux pas trop me répéter étant donné que j’ai déjà expliqué en quoi consistait le dernier projet sur la souveraineté, mais dans La fabrique des images, on poursuit ce qui avait été amorcé avec deux Å“uvres vidéos riches et choisies avec justesse.

Dans la première, Hito Steyerl, réalisatrice allemande, alterne des scènes d’un film super 8 amateur qu’elle a tourné avec son amie Andrea Wolf, assassinée plusieurs années plus tard en tant que militante radicale du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), avec des captations d’événements organisés pour commémorer sa mort et autres extraits divers. L’Å“uvre traite d’enjeux reliés à l’image et à la souveraineté, bien entendu, mais questionne aussi (surtout) les rapports entre réalité et fiction. À ce propos, Steyerl fait entre autres intervenir un guérillero s’étant inspiré de scénarios de films, dont État de siège de Costa Gavras, afin d’orchestrer un kidnapping et autres actions radicales, certaines n’ayant pas du tout fonctionné dans la réalité. Cet aller-retour entre la vraie résistance et celle du cinéma teinte d’ailleurs toute l’Å“uvre de Steyerl, qui établit aussi des liens entre le dernier long métrage en carrière de Bruce Lee (mélangeant lui aussi la réalité et la fiction) et l’histoire de son amie Andrea.

Le deuxième projet, celui d’Harun Farocki, use également du montage d’archives pour créer un discours personnel, mais cette fois, l’artiste détourne l’utilisation première de ces images en rétablissant certains faits à l’aide d’intertitres. En effet, le matériel que Farocki emprunte provient d’un film tourné en 1944 à Westerbork, en Hollande, dans un camp initialement construit pour accueillir des juifs ayant fui l’Allemagne, mais qui, à l’arrivée des nazis, se transforma peu à peu en camp de transition, étape précédant Auschwitz. Commandé par le dirigeant de l’endroit, le film ne fait donc aucunement allusion à ce qui vient ensuite, se contentant de montrer, par exemple, des extraits d’un spectacle amateur mettant en vedette des juifs dansant, souriant, jouant la comédie, l’une se déguisant même en surveillant. On en voit aussi prenant part à une partie de foot amicale ou faisant de l’aérobie, le tout semblant tout à fait normal, presque amusant, et dans cette optique, les images d’un départ de train sont saisissantes. Farocki y ajoute des informations sur certains visages ciblés, dont cette jeune fille qui fixe la caméra, cet enfant qui envoie la main ou cet homme qui aide à refermer la porte du wagon. Bref, les réflexions sont nombreuses au sortir de ce film rempli d’ambiguïtés.

Chacune des deux Å“uvres est présentée tour à tour en français et en anglais, ce qui est totalement louable, mais la façon de procéder serait peut-être à repenser éventuellement, puisque les films sont tout de même assez longs et que si le spectateur arrive pendant la mauvaise projection, ça peut rendre l’attente passablement pénible. J’ai la chance de bien comprendre les deux langues, mais lors de ma visite, un homme a semblé incommodé par cette contrainte, décidant de quitter la galerie sans avoir vu l’Å“uvre d’Hito Steyerl. Aussi, je ne sais pas si l’ensemble constitué de seulement deux vidéos m’aurait paru complet s’il n’y avait pas eu toute cette démarche derrière et cette première partie présentée précédemment, mais outre ces quelques critiques purement compensatoires, je dois dire que j’ai grandement apprécié l’exposition et vous la recommande chaudement (de même que toutes celles de la Galerie SBC, d’ailleurs).

Galerie SBC, espace 507
Harun Farocki et Hito Steyerl
La fabrique des images
28 février au 27 avril 2013
www.sbcgallery.ca


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