Atelier de cr̩ation II РEspejo Negro aux Territoires

Espejo Negro, Les Territoires

Je suis de ces aficionados d’art qui manquent toujours les vernissages. Mes horaires de travail un peu à l’envers de tout le monde m’en empêchent la plupart du temps, et généralement, ça ne me dérange pas outre mesure, mais là, je dois avouer que j’aurais vraiment aimé assister à la performance musicale de Stan Dickie (alias Chris Simonite) pour le dévoilement de l’exposition Espejo Negro (« Miroir noir ») aux Territoires. Bref, honte à moi, et si vous le voulez bien, n’en parlons plus, que j’arrête d’avoir d’amers regrets. Pour parler de ce que j’ai vu au lieu de parler à travers mon chapeau, l’exposition, c’est le résultat de quatre mois de travail pour cinq artistes de la relève et un artiste international établi dans le cadre des ateliers de création des Territoires, qui en sont à leur deuxième année seulement. On peut d’ailleurs lire ce que ma collègue Sophie Busby avait écrit au sujet de la première édition juste ici. J’ai toujours beaucoup de respect pour ce genre de projet expérimental où l’on pousse à fond un thème pour en extraire le jus et créer des Å“uvres inspirées, et dans ce cas, c’est sur la mort que se sont penchés les artistes, partageant leurs découvertes et leurs pistes de réflexion sur le blogue Muerte Mamona.

La pièce maîtresse issue de cette collaboration, Espejo Negro, est une animation image par image d’une quinzaine de minutes aux ambiances nocturnes mystérieuses, faite avec un énorme souci de la matière et des couleurs. La musique rappelle par moments celle de Neil Young pour le Dead Man de Jim Jarmusch et ne pourrait être plus appropriée. Les artistes mettent en scène une mort qui rôde et des éléments étranges, tels les statues de l’ÃŽle de Pâques et le Sphinx, de même qu’une créature répugnante aux yeux globuleux. On voit très bien l’influence des mythes dans cette production, et le travail de collaboration est particulièrement efficace et cohérent, alors que ça aurait facilement pu tomber dans le ramassis d’idées.

Chaque artiste a aussi produit une Å“uvre personnelle en plus d’avoir travaillé sur ce projet commun, et j’ai particulièrement aimé les travaux de Chris Simonite, Mat O’Hara et Ben Clarkson. Simonite joue d’humour avec Stan Dickie Listening Station (Singin’ and Sleepin’ with the Angels), poste d’écoute bancal composé d’un vieux discplayer bon marché et usé de sa collection personnelle, subissant inévitablement des ratées lorsqu’on essaie d’écouter le disque fourni. Pour le peu que j’ai pu en entendre, toutefois, le thème de la mort était évidemment présent sous forme d’histoires rocambolesques aussi hilarantes leur auteur. Mat O’Hara présente quant à lui une très esthétique impression au jet d’encre sur aluminium, Glitter and Gold Will Crush your Soul, me rappelant tout de suite la photographie de Raphaël Ouellet ayant abondamment circulé pendant le Printemps érable. Mais bon, ça, c’est juste un lien mental sans importance, parce que l’idée d’O’Hara n’est pas du tout la même. Évidemment, on parle de mort, de mort de l’âme par la surconsommation, même, avec ce cÅ“ur dégoulinant dans une main, le tout recouvert de paillettes multicolores. On peut aussi se poser des questions sur le glamour de la mort, sur la célébrité et la gloire posthumes. Bref, plusieurs pistes de réflexion pas mal intéressantes pour se faire aller le cerveau longtemps après sa visite. Dans Hell Yes, vidéo efficace et concise, Ben Clarkson juxtapose des images très éclectiques (une fille faisant du ski en bikini, une espèce de couloir de la mort psychédélique, une scène sanglante sortie d’un jeu vidéo, et cetera) à des phrases toujours en lien avec la mort (« It’s OK, it’s beautiful », « Hurry up! »). C’est sans doute l’oeuvre la plus optimiste du lot, ou du moins, la plus axée sur l’idée qu’il faut vivre sa vie à fond avant de manger les pissenlits par la racine (pour faire court).

Ces trois pièces ainsi que l’oeuvre collective valent selon moi à elles seules le détour, mais il ne faut toutefois pas passer sous silence le travail de Naghmeh Sharifi, Alejandro Garcia Contreras et Isabelle Guimond, les trois artistes qui complètent merveilleusement le sextuor. Bref, allez voir ça pendant que la période déprimante de l’année n’est pas encore tout à fait à nos portes et qu’il nous reste encore assez de bonne humeur estivale pour se prendre cette dose de noirceur (tout de même très divertissante, je vous le confirme).

Les Territoires, espace 527
Alejandro Garcia Contreras, Ben Clarkson, Isabelle Guimond, Mat O’Hara, Naghmeh Sharifi, Chris Simonite
Atelier de création II – Espejo Negro
3 au 24 août 2013
http://lesterritoires.org


Print pagePDF pageEmail page

Submit a comment