L’univers livresque d’Ève K. Tremblay à la Galerie Hugues Charbonneau

Ève K. Tremblay, Études pour Dancing Books (Triumph Over The Fear of Collapse - Spine #1 to #6), Galerie Hugues Charbonneau

Je m’intéresse à ce que produit Ève K. Tremblay depuis quelques années déjà, et je dois dire que j’ai toujours bien aimé ses travaux, notamment ceux ayant trait aux livres, un filon qu’elle exploite depuis un bon bout de temps. L’exposition présentée en ce moment à la nouvelle Galerie Hugues Charbonneau, récemment installée au Belgo, s’inscrit dans cette démarche alliant littérature, photographie, performance et vidéo. Pour résumer brièvement, disons que la majorité des dernières propositions de Tremblay faisaient état de performances où elle essayait de recréer l’idée derrière le roman de science-fiction Fahrenheit 451 de Ray Bradbury, soit d’apprendre par cÅ“ur des livres en entier afin d’en préserver la mémoire. Évidemment, le concept est plus étendu que cette simplification grossière, mais c’est à peu près la base de ses expériences.

Tremblay pousse la réflexion encore plus loin avec cette nouvelle cuvée d’Å“uvres, mais celles-ci m’ont semblé plus axées sur le corps, l’engagement physique et la performance en tant que telle que les précédentes. En fait, ici, l’intellectualité reliée à l’utilisation de la littérature est reléguée au second plan, et les livres sont alors utilisés pour leurs qualités esthétiques, pour leur côté iconique et pour leur discours implicite sans qu’il y ait référence directe à leur contenu. Du moins, c’est ce que j’ai ressenti en visitant l’exposition. Les Études pour Dancing Books (Triumph Over the Fear of Collapse – Spine #1 to #6) (2011), entre autres, présentent une pile de bouquins adoptant une forme très sinueuse, très mouvante, comme si ceux-ci étaient justement en train de danser et de combattre le risque d’écroulement. Cette série me semblait aussi faire écho aux deux pièces intitulées À lire de loin (geste 1) (2011) et À lire dada (geste 2) (2011), où l’interprète des performances, Anne-Laure Dubé, est assise à lire, le dos appuyé sur ce qui semble être le même échafaudage de livres, cause potentielle de la courbure dans l’empilement. Plus loin, un autre totem littéraire trône sur une chaise miniature, logeant quelques érudits dont Cocteau, Sade, Brecht, Jung, Tournier, Flaubert et autres figures que l’on peut appeler par leur nom de famille sans créer la moindre ambiguïté. Un mini-projecteur fait défiler des images d’un enfant s’adonnant à la pirouette devant une bibliothèque bien garnie. Ici aussi, le livre est accessoire, presque décoratif. 

Viennent aussi les références au voyage, à l’exploration du monde, à la science, notamment avec le livre The Whole Shebang : A State-of-the-Universe(s) Report de Timothy Ferris, essai de cosmologie présentant l’hypothèse de la présence de plusieurs univers au-delà du nôtre et approfondissant la notion de trou noir. Dans une vidéo d’une dizaine de minutes, There is Dark Matter in Your Back Yard (2011) Anne-Laure Dubé (toujours) explore le jardin d’un passionné d’oiseaux, sorte de repère de l’étrange, de trou noir métaphorique où s’amassent curiosités et autres déjections du monde, et exécute des performances à partir desquelles les photographies de l’exposition sont tirées, soit la lecture – le mot est ici très bien choisi — d’un globe terrestre et du bouquin de Ferris, diverses interactions physiques avec ceux-ci et plus encore. Tremblay reprend ce parallèle entre le voyage et la lecture en utilisant l’image du transport en métro et crée aussi de petits collages où des trajectoires cartographiées deviennent les ailes d’oiseaux, en plus de disposer des instantanés de petite taille des subway readers, comme elle les appelle. L’artiste s’inspire aussi de la création de notre monde pour réaliser trois petits collages d’illustrations tirées de livres scientifiques portant sur l’origine et l’évolution des oiseaux.

Dans cette exposition, donc, Ève K. Tremblay poursuit son exploration de l’univers du livre, mais emprunte des chemins différents que ceux empruntés, par exemple, lors de son dernier solo à Montréal en 2009, à la Galerie Donald Browne. Je vous invite donc à venir constater l’évolution de sa pratique ou encore à la découvrir si ce n’est déjà fait. 

Galerie Hugues Charbonneau, espace 308
Ève K. Tremblay
10 novembre au 15 décembre
www.huguescharbonneau.com


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